Définition de l’amortissement dérogatoire
L’amortissement dérogatoire est un mécanisme comptable permettant à une entreprise de pratiquer un amortissement différent de celui prévu par le plan d’amortissement économique. Il s’agit donc d’un amortissement fiscal, destiné à optimiser le résultat imposable de l’exercice.
Autrement dit, cette technique permet à l’entreprise d’amortir plus rapidement certains biens que ne le justifierait leur réelle durée d’utilisation. Cette liberté accordée par l’administration fiscale permet, dans certains cas, de réduire temporairement l’impôt sur les sociétés ou sur le revenu.
L’amortissement dérogatoire ne repose pas sur la réalité économique, mais bien sur une possibilité offerte par la législation fiscale. Il se distingue par son caractère extra-comptable, c’est-à-dire qu’il est comptabilisé en dehors du plan d’amortissement économique dans un compte spécifique.
L’amortissement dérogatoire est une écriture complémentaire, purement fiscale, qui vient s’ajouter – ou se substituer temporairement – à l’amortissement économique, dans le but d’optimiser la charge fiscale d’une entreprise.
Cadre légal et fiscal
L’amortissement dérogatoire trouve sa source dans les dispositions du Code général des impôts, plus précisément l’article 39 du CGI. Il est encadré par des régimes d’amortissements exceptionnels expressément prévus par la loi :
- L’amortissement exceptionnel sur 12 mois pour certains matériels neufs ou écologiquement performants
- Les régimes spécifiques sectoriels, comme l’amortissement accéléré pour les entreprises industrielles ou agricoles
- Les aménagements temporaires décidés par la loi de finances, comme pour les investissements numériques ou robotiques
En pratique, l’entreprise applique un plan d’amortissement économique basé sur la vie utile du bien (ex : 5 ans pour une machine), mais opte fiscalement pour un amortissement accéléré sur 12 ou 24 mois. La différence est alors comptabilisée en amortissement dérogatoire.
Distinction entre amortissement économique et amortissement dérogatoire
Pour mieux saisir l’intérêt de ce mécanisme, il est essentiel de bien différencier les deux types d’amortissement :
- L’amortissement économique reflète la consommation réelle du bien. Il suit une logique comptable et repose sur l’utilité économique du bien acquis.
- L’amortissement dérogatoire ne reflète pas cette réalité ; il est décidé pour bénéficier d’un avantage fiscal immédiat, avec une contrepartie : les dotations s’inscrivent dans un compte de passif (compte 145 – amortissements dérogatoires).
Cette écriture vient compenser le sur-amortissement constaté par rapport au plan comptable habituel. Autrement dit, on « prend de l’avance » sur l’amortissement pour payer moins d’impôt aujourd’hui, mais cela implique des régularisations ultérieures.
Exemple concret d’application
Imaginons une entreprise industrielle qui acquiert une machine pour 50 000 € en janvier. Cette machine a une durée de vie estimée à 5 ans. L’amortissement économique sera donc de 10 000 € par an.
Cependant, la loi permet un régime d’amortissement exceptionnel sur 12 mois. L’entreprise décide de l’appliquer. Ainsi :
- Elle amortit fiscalement 50 000 € dès la première année
- Mais comptablement, elle n’enregistre que 10 000 € d’amortissement économique
- La différence de 40 000 € est inscrite en amortissement dérogatoire, dans un compte de passif
La dotation dérogatoire de 40 000 € réduit d’autant le bénéfice fiscal de l’exercice, ce qui se traduit par une économie d’impôt immédiate. Toutefois, il faudra gérer le retour à l’équilibre dans les exercices suivants.
Principes comptables à respecter
Le Plan Comptable Général (PCG) impose une comptabilisation rigoureuse et dissociée des deux amortissements. L’écriture d’amortissement dérogatoire s’effectue ainsi :
- Débit : compte 68725 “Dotation aux amortissements dérogatoires”
- Crédit : compte 145 “Amortissements dérogatoires”
En fin de vie du bien, ou en cas de cession, des reprises d’amortissement doivent être opérées, reflétant ainsi le “retour” au plan économique. Ces écritures impactent alors le résultat fiscal à la hausse, dans un futur exercice. Ce mécanisme évoque un simple différé d’imposition, mais il peut être précieux pour une gestion dynamique de la trésorerie.
Quels biens sont concernés ?
Tous les biens ne peuvent pas faire l’objet d’un amortissement dérogatoire. L’entreprise doit respecter les conditions d’éligibilité prévues par la loi fiscale. En général, il s’agit de :
- Biens neufs affectés à l’exploitation
- Investissements dans des technologies innovantes, écologiques ou robotiques
- Immobilisations éligibles à un régime temporaire d’amortissement exceptionnel
Il convient de se référer à chaque loi de finances pour connaître les dispositifs en vigueur. Le caractère temporaire et conditionnel de ces régimes implique une veille réglementaire constante.
Avantages et limites de l’amortissement dérogatoire
Avantages :
- Réduction immédiate du bénéfice imposable
- Allégement de la fiscalité en période de trésorerie tendue
- Facilite des investissements stratégiques sans impacter le résultat économique
Limites :
- Obligation de réintégration ultérieure au résultat imposable (retour à la case départ)
- Gestion administrative et comptable plus rigoureuse
- Risques en cas de changement législatif ou de contrôle fiscal
Un usage abusif ou mal justifié de l’amortissement dérogatoire peut être requalifié lors d’un contrôle fiscal. Il est donc impératif de documenter précisément la nature du bien, le régime applicable, et les écritures pratiquées.
Cas particulier : l’impact sur les comptes annuels
Dans les comptes sociaux, l’amortissement économique est celui qui est présenté dans le tableau des immobilisations, car il reflète la véritable consommation du bien. L’amortissement dérogatoire, quant à lui, est traité comme un élément extra-comptable :
- Il ne modifie pas le solde du compte d’actif (immobilisation brute)
- Il est présenté en passif au compte 145
- Il figure dans l’annexe des comptes
La présence d’un amortissement dérogatoire élevé peut inquiéter un lecteur peu averti ou un investisseur. Elle traduit une gestion fiscale active, mais doit être correctement expliquée et justifiée dans les documents financiers.
Conseils pratiques d’optimisation
L’usage de l’amortissement dérogatoire doit s’inscrire dans une stratégie concertée avec l’expert-comptable et le conseil fiscal de l’entreprise. Pour bien l’utiliser :
- Identifiez chaque année les biens éligibles aux régimes dérogatoires
- Effectuez une simulation de l’impact fiscal et comptable
- Conservez une documentation détaillée des décisions prises
- Anticipez la charge future liée à la reprise de l’amortissement dérogatoire
En période de forte rentabilité, utiliser l’amortissement dérogatoire permet de lisser son imposition. À l’inverse, en période de trésorerie faible, il peut constituer un souffle d’air pour limiter l’impôt. Attention cependant à ne pas “consommer trop vite” ces marges de manœuvre.
Plan d’action pour bien gérer l’amortissement dérogatoire
- Vérifiez l’éligibilité du bien concerné à un régime spécial
- Identifiez l’amortissement économique applicable (durée, méthode linéaire ou dégressive)
- Calculez la différence entre amortissement fiscal (souhaité) et économique
- Comptabilisez cette différence en amortissement dérogatoire (compte 145)
- Anticipez les reprises futures et leurs impacts sur le résultat
- Pilotez votre résultat fiscal à l’aide d’un tableau de suivi
La clé réside dans l’anticipation : toute décision en matière d’amortissement dérogatoire engage des conséquences pluriannuelles. Une bonne prévision peut transformer un simple levier fiscal en véritable outil de pilotage de la performance.